Réparer l’irréparable… De quel type de réparation parlez-vous ?

Père Étienne Kern : Le rapport de la Ciase a révélé en octobre 2021 l’ampleur des abus sexuels dans l’Église de France. À sa suite, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation a été mise en place pour écouter et accompagner les victimes sur le plan psychologique, financier et judiciaire. Ce qui est absolument indispensable, mais pas suffisant. Certaines victimes demandent aussi à l’Église que soit honorée la dimension proprement spirituelle de la réparation car c’est également dans leurs âmes qu’elles ont été atteintes.

Quelle forme pourrait prendre cette réparation ?

P. E. K. : J’espère que ce colloque apportera des réponses, sans tomber dans la spiritualisation : partager des convictions, donner des pistes spirituelles et pratiques qui nous aideront à déployer cette dimension spirituelle – vis-à-vis de laquelle nous nous sentons aujourd’hui démunis. Il s’agit d’honorer cette dimension en prenant soin des victimes, en nourrissant et en fortifiant le peuple chrétien qui demeure profondément bouleversé et scandalisé. En tant que recteur du sanctuaire de Paray-le-Monial, je suis convaincu que c’est un lieu particulier de consolation pour les victimes, et que la dévotion au Cœur de Jésus peut éclairer une démarche de réparation spirituelle de la part de tout le peuple chrétien.

De quelle façon ?

P. E. K. : Le mot « réparation » est explicitement employé lors des apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Le Seigneur montre son cœur et redit son amour, à une époque marquée par le jansénisme, qui représente Dieu comme un juge impitoyable, et par l’intellectualisme, qui méprise la foi au nom de la raison. Il exprime sa souffrance de ne pas recevoir en retour l’amour qu’il a pour nous, et se plaint de nos ingratitudes et de nos indifférences. Il évoque les sacrilèges commis envers le « sacrement d’amour », qu’est l’Eucharistie, par ceux-là mêmes qui lui sont consacrés, notamment les prêtres. On peut y voir une référence à l’affaire des poisons et aux premières messes noires célébrées sous le règne de Louis XIV.

Durant la grande apparition du Sacré-Cœur en juin 1675, le Christ demande réparation de ces offenses, notamment par l’institution de la fête du Sacré-Cœur, la communion fréquente et l’adoration eucharistique. Le XIXe siècle va se focaliser sur la dimension pénitentielle de la réparation, quitte à tomber dans un certain dolorisme, qui contribuera à la rendre désuète au cours du XXe siècle. Avant que l’on en redécouvre la valeur et l’actualité à la lumière des récents scandales.

Quel lien faites-vous entre la réparation mise en lumière dans le culte du Sacré-Cœur et l’actualité ?

P. E. K. : La plainte des victimes d’abus rejoint la plainte que Jésus exprimait à Marguerite-Marie Alacoque. Jésus est offensé par les sacrilèges envers son corps sacramentel. Il l’est également dans les agressions sexuelles envers les plus vulnérables. N’a-t-il pas dit que ce que nous faisions aux plus petits, c’était à lui que nous le faisions ? Il est par ailleurs troublant de constater que les abus interviennent souvent dans un contexte sacramentel, lié à la messe ou à la confession. Le pape François parle de « sacrilège » et de « trahison du corps du Seigneur» par les prêtres abuseurs, et compare même leurs actes à une « messe noire ». C’est pourquoi je ne peux pas m’empêcher de penser que le message de Paray a quelque chose à dire à l’Église sur ces questions, même si tout n’apparaît pas encore clairement. C’est bien pour cela qu’un colloque est organisé.

Le rapport de la Ciase a révélé la dimension systémique des abus perpétrés. Personne n’est extérieur au problème ou en surplomb. Nous sommes tous concernés, que nous le voulions ou non, par cette culture de l’abus, pour reprendre l’expression du pape François. Ainsi, beaucoup des intervenants à ce colloque appartiennent à des congrégations ou des communautés – y compris la mienne (la communauté de l’Emmanuel NDLR)– impliquées d’une manière ou d’une autre dans des scandales. Aucune n’est indemne, la mienne pas plus que les autres. Mais, c’est de l’intérieur qu’un autre mouvement peut s’amorcer.

Quel mouvement ?

P. E. K. : Au moment de l’exil, le peuple juif se tourne vers Dieu dans de magnifiques prières expiatoires où il exprime sa honte et implore le pardon et la miséricorde divine. C’est cette humble attitude du « cœur brisé » devant Dieu que l’on retrouve chez sainte Thérèse de Lisieux ou sœur Faustine, l’apôtre de la miséricorde divine. Une anecdote personnelle : j’étais curé à Aix-en-Provence au moment de ce que l’on a appelé « l’affaire Barbarin » (du nom de l’archevêque de Lyon, accusé de ne pas avoir dénoncé à la justice les actes pédocriminels du prêtre Bernard Preynat, ; il a été relaxé par la cour d’appel de Lyon en 2020, NDLR). J’ai été touché par la forte affluence des paroissiens à un temps d’adoration réparatrice que nous avions alors proposé, comme si le peuple chrétien bouleversé par le scandale éprouvait intuitivement le besoin de se mettre à genoux devant Dieu, d’implorer sa miséricorde et de réparer son Cœur blessé en rendant amour pour amour.

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