«Aujourd’hui notre seigneur Ram est arrivé, il attendait depuis des siècles ». Le 22 janvier 2024, le premier ministre indien Narendra Modi inaugurait à Ayodhya, dans le nord-est du pays, un temple hindou dédié au dieu Ram. Dans des scènes de liesse et de fête aux couleurs safran, des milliers d’hindous venus de tout le pays, ont célébré l’inauguration du temple de Ram sur un site ou se trouvait autrefois une mosquée moghol. Les télévisions du pays ont retransmis l’événement.

La présence de Narendra Modi ne devait rien au hasard. L’omniprésence de la religion hindoue jusque dans les plus hautes sphères de la politique indienne et la volonté d’établir une hégémonie hindoue au mépris des minorités religieuses portent un nom : l’hindutva.

Aujourd’hui embrassée par le pouvoir, cette idéologie n’a pas toujours eu la première place dans un pays où le « secularism » (la laïcité) est inscrit dans la constitution depuis 1947. Le sujet est au cœur des élections générales qui se déroulent jusqu’au 1er juin.

► À quand remonte l’apparition de l’hindutva ?

Bien qu’utilisé dès la fin du XIXe siècle, le terme « hindutva », issu du sanskrit, prend ses racines modernes dans un ouvrage de Vinayak Damodar Savarkar paru en 1922 : Hindutva, who is a hindu ? (Hindutva, qui est hindou ?). Ce livre a posé les fondements du nationalisme hindou.

Les penseurs de l’hindutva ont développé leur idéologie dans un contexte de lutte contre la colonisation britannique et contre l’occidentalisation de la société hindoue. Leurs combats se centrent autour de revendications religieuses et sociétales.

Dans un ouvrage paru en 1993 (1), Christophe Jaffrelot, politologue et spécialiste de l’Inde, explique que l’hindutva « a été conçu comme un concept de communauté ethnique ». La communauté hindoue, selon cette idéologie, constitue la « matrice » de la communauté indienne tandis que les chrétiens et les musulmans ne sont que des pièces rapportées.

► Comment s’est-elle diffusée dans la société indienne ?

L’hindutva s’est structurée autour d’une organisation essentielle, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), l’Association des volontaires nationaux. Fondée par un militant et médecin, Keshav Baliram Hedgewar, cette organisation paramilitaire nationaliste, créée en 1925, a largement participé à la diffusion de l’idéologie à travers le pays et la population.

Durant des années, le RSS a mis en place un mouvement similaire aux jeunesses fascistes des années 1930 en Europe. Ce groupe éducatif paramilitaire était destiné à forger les mentalités des jeunes hindous dès le plus jeune âge.

C’est au sein de ce mouvement qu’a été formé Narendra Modi, premier ministre de l’Inde depuis 2014, et c’est de lui qu’il émergera en tant que figure politique majeure, des années plus tard.

► Indépendance indienne et développement du nationalisme hindou

C’est dans l’Inde indépendante, qui s’est construite après la partition des Indes de 1947, que va considérablement se développer le nationalisme hindou. Le nombre d’adhérents au RSS explose et des partis politiques proches de l’organisation commencent à remporter des élections locales à partir des années 1950.

La suspension des libertés publiques et l’instauration de l’état d’urgence par la première ministre Indira Gandhi entre 1975 et 1977, sur fond d’accusations de fraudes électorales, propulsent en avant les mouvements nationalistes. Bon nombre d’Indiens, qui ne trouvent plus leur compte dans le traditionnel parti du Congrès (celui du Mahatma Gandhi), se radicalisent et se tournent vers le nationalisme hindou.

C’est suite à ces événements qu’est fondé en avril 1980 le Bharatiya Janata Party (BJP, littéralement « Parti du peuple indien »), organisation aujourd’hui majoritaire au Parlement et menée par le premier ministre Narendra Modi. Elle accède pour la première fois au pouvoir en 1998 et y est depuis 2014.

► Comment se traduit l’hindutva dans l’exercice du pouvoir par le BJP ?

Au pouvoir le BJP va multiplier les menaces sur les libertés publiques et les droits des minorités : Loi qui intègre des critères religieux dans l’obtention de la nationalité indienne ; discours violent à l’égard des musulmans les qualifiant « d’infiltrés »…

L’hindutva au pouvoir marginalise ainsi chaque jour un peu plus les Indiens non hindous et singulièrement ceux de confession musulmane. Ils représentent pourtant un peu plus de 16 % de la population, soit près de 200 millions de personnes.

(1) Les nationalistes hindous, Christophe Jaffrelot, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993