Immigration = islam ? Les réseaux sociaux relaient régulièrement cette équivalence trompeuse. En France, le lien étroit fait entre immigration et islam est pourtant excessif. D’abord, parce que l’islam est implanté de longue date. Six musulmans vivant en France sur dix sont nés en France ! Ensuite, parce que la majorité des migrants accueillis dans l’Hexagone ne sont pas musulmans. La seconde vague de l’enquête « Trajectoires et origines » (dite TEO2) est formelle : 56,5 % des personnes immigrées interrogées ne sont pas affiliées à l’islam. Avec notamment 31,5 % de chrétiens et 21 % de sans religion. La part de l’islam dans l’immigration est certes importante (43,5 %). Mais l’écart avec le christianisme n’est pas énorme.

Or, on continue à constater qu’en matière de politique publique, de traitement médiatique et de visibilité sur les réseaux sociaux, l’islam reste massivement associé, en France, à l’immigration. Trois facteurs l’expliquent : une montée conjoncturelle de l’islamisme depuis le début du XXIe siècle, qui produit un effet de loupe déformante sur l’ensemble de l’islam ; l’intolérance d’une partie de la population à une religion différente du christianisme ; enfin, certaines formes de clientélisme électoral, qui associent l’islam aux « quartiers populaires », renforçant le stéréotype associant la religion musulmane à l’immigration. Dans la galaxie des médias de qualité qui accordent une attention particulière aux banlieues et aux questions de diversité – le Bondy Blog, Respect Média, Mediapart –, l’islam est beaucoup plus à l’affiche que le christianisme. Avec un écart de traitement supérieur à l’écart réel entre les 43,5 % de migrants musulmans et les 31,5 % de migrants chrétiens.

La composante chrétienne de l’immigration n’est que peu médiatisée ou traitée politiquement

Les personnes catholiques et évangéliques venues de l’immigration seraient-elles tellement moins investies dans le tissu associatif, la musique, la militance, qu’il faille détourner le regard ? C’est possible, mais ce n’est pas prouvé. La scène musicale, par exemple, n’est guère avare en talents des banlieues croisant expérience migratoire et christianisme. Mais cette composante de l’immigration, étudiée dans le champ académique (1), n’est que peu médiatisée ou traitée politiquement. Ainsi, les « cultures gospel », en France, sont portées par un genre musical profondément renouvelé par les apports des Caraïbes, de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. L’expérience de l’exil et de la foi imprègne cette musique.

Quelle grande agglomération française accorde aujourd’hui à ces cultures gospel une attention comparable à ce que propose l’Institut des cultures d’Islam ? Financé par la Ville de Paris, le modèle de ce superbe institut, né en 2006, est excellent. Il est heureux qu’il favorise la rencontre entre cultures musulmanes et grand public. Pourquoi ne pas imaginer un jour qu’un institut des cultures gospel propose ce type d’interface, cette fois-ci pour le christianisme ? Quand près d’un tiers de l’immigration en France se réclame de l’Église catholique, des protestantismes ou des Églises orthodoxes, il ne serait pas scandaleux d’accorder un peu plus d’intérêt aux migrantes et migrants chrétiens. En complémentarité plus qu’en concurrence, aux côtés de celles et ceux qui se rattachent à d’autres religions, ils contribuent aussi au rayonnement de la société française.

(1) Aubourg, Barou, Campergue (dir), Migrants catholiques en France, ancrages sociaux et religieux, PUG, 2023.