Où en est le danger islamiste en Allemagne ? Cette question fait de nouveau débat depuis qu’un millier d’hommes suivis, à quelques pas derrière, d’environ 80 femmes voilées, ont défilé, samedi 27 avril, dans les rues de Hambourg, grande ville portuaire du nord de l’Allemagne. Lors de cette manifestation, qui s’est déroulée dans le calme et encadrée par la police, on pouvait lire des slogans tels que « le califat est la solution », « Allemagne, dictature des valeurs », ainsi que des appels à la solidarité avec les Palestiniens, en particulier à Gaza.

Les messages véhiculés, et les images de la manifestation diffusées sur les réseaux sociaux, ont rapidement soulevé un tollé dans la classe politique. La ministre de l’intérieur, la sociale-démocrate Nancy Faeser, a jugé « difficilement supportable » de voir « une telle manifestation d’islamistes dans nos rues ». C’est à droite et à l’extrême droite que les critiques sont les plus fortes, avec des appels à « expulser les étrangers qui ne respectent pas les valeurs de la République », mais aussi des critiques envers les autorités de la ville de Hambourg pour ne pas avoir interdit cette manifestation en amont.

Si la police locale a ouvert une enquête pour savoir si certaines affiches et slogans lancés étaient passibles de poursuite, soutenir le califat, un territoire soumis aux lois islamiques, n’est pas en soi interdit par la loi. De nombreuses personnalités appellent en revanche à l’interdiction pure et simple de l’organisation Muslim Interaktiv, à l’initiative de cette manifestation.

Une organisation classée « comme extrémiste »

Créée en 2020, cette organisation très active à Hambourg est officiellement classée « comme extrémiste » par les services de renseignements régionaux. Idéologiquement proche du parti islamiste Hizb ut-Tahrir, lui-même interdit d’activité, elle est issue de la mouvance des Frères musulmans et a organisé diverses manifestations dans le pays, notamment en 2022 pour dénoncer l’oppression des musulmans ouïghours en Chine, et en 2023 après qu’un Coran a été brûlé en Suède.

D’après les services fédéraux de renseignements, ces rassemblements permettent « de mobiliser le plus grand nombre possible de participants », mais surtout « de collecter des images et des vidéos impressionnantes pour leurs canaux de médias sociaux ». Le but est de dénoncer ce que l’organisation juge comme « la politique d’assimilation systématique » menée contre les musulmans en Allemagne.

Selon Michael Kiefer, spécialiste de l’islam à l’Université d’Osnabrück (Basse-Saxe), c’est encore ce qui s’est passé le 27 avril à Hambourg. « Muslim Interaktiv utilise le discours de victimisation en direction des musulmans et les appelle à se défendre. On ne sait pas vraiment qui sont les gens qui participent aux manifestations, mais parmi les intervenants se trouvent des personnes nées et socialisées en Allemagne, parfois très éloquentes », note-t-il. C’est le cas de Joe Adade Boateng, connu sous le pseudonyme de « Raheem », étudiant à l’université de Hambourg et très suivi sur TikTok.

Montée en puissance des organisations islamistes

De fait, les spécialistes de l’islamisme constatent une montée en puissance des diverses organisations islamistes sur les réseaux sociaux, notamment depuis les attentats du Hamas du 7 octobre 2023. « Muslim Interaktiv fait très attention à ne pas se mettre en position d’illégalité, mais c’est certainement l’un des mouvements les plus dangereux du moment car il est très bien organisé, discipliné, très actif et professionnel sur les médias sociaux, constate Michael Kiefer. La répression et l’interdiction sont peut-être nécessaires mais elles ne suffiront pas car lorsqu’une association ferme, une autre se crée. Il faut renforcer le volet éducatif contre la radicalisation. »

Plus largement, les divers services de renseignements confirment une hausse du danger islamiste, depuis la guerre entre Israël et le Hamas. En 2022, ils estimaient à 27 000 le nombre d’islamistes en Allemagne sur une population de plus de 5 millions de musulmans.